GÉRARD FOURQUET
30 novembre 2022 - 19h01
Contribution à la concertation publique sur la ligne 2 du tramway de Caen la merLe rapport définitif de la Chambre régionale de comptes de Normandie (CRC) sur Caen la mer ne peut qu’inquiéter sur les capacités financières du budget des transports pour réaliser la ligne 2 du tramway telle qu’elle nous est soumise : la « capacité de désendettement […] se rapproche du seuil d’alerte pour le budget des transports » (synthèse du rapport page 1).
Il m’est ainsi apparu nécessaire de mieux apprécier cette analyse, uniquement abordée dans le corps du rapport (page 46) sous la forme d’un tableau peu commenté sur « l’évolution des principaux agrégats du budget annexe des transports », faisant apparaître une baisse nette de la capacité de désendettement de ce budget : cette dernière passe de 2 années en 2016 à 10,2 années en 2020, avant même tout financement de la ligne 2.
La CRC note (page 79), dans le chapitre consacré aux transports urbains de voyageurs, que Caen la mer « a produit une prospective budgétaire pour la période 2020-2025 » et que « cette prospective n’intègre pas la construction du deuxième axe Est-Ouest du réseau […] approuvée par la CUCLM le 22 avril 2021 ». Quand je lis (page 26), dans le chapitre « IV- L’information budgétaire » que la planification pluriannuelle des investissements n’est pas votée par le Conseil communautaire, ni même soumise pour son examen, je peux craindre que la délibération du Conseil communautaire du 22 avril 2021 votant un investissement de 270 millions d’euros pour le tracé A de la ligne 2 du tramway, n’ait pas été éclairée par une approche de la capacité de financement du budget des transports...
Complétons, par l’exercice 2021, le tableau précité de la page 46 du rapport de la CRC selon l’analyse classique :
BUDGET TRANSPORT
(compte administratif 2021
Produits d’exploitation 89 381 273 €
Charges d’exploitation 76 200 111 €
Epargne brute 13 181 162 €
Remboursement du capital de la dette 8 064 242 €
Epargne nette 5 116 920 €
Encours de la dette au 31 décembre 2021 185 419 188 €
Capacité de désendettement (en années) 14,07
Pour information, la capacité de désendettement est le nombre d’années d’épargne brute nécessaires pour qu’une collectivité rembourse sa dette : son calcul consiste donc simplement à diviser l’encours de la dette par le montant de l’épargne brute ; ce ratio, mis au point par le Cabinet Michel Klopfer, est depuis 30 ans le ratio favori des analystes des comptes des collectivités locales : la valeur admise ne doit pas dépasser 10 à 12 ans. En 2021, le ratio pour Caen la mer poursuit une hausse spectaculaire dépassant le seuil d’alerte ; 14 ans.
Parmi les différents éléments de cet équilibre de plus en plus fragile, certains peuvent-ils évoluer dans un sens positif :
1) L’épargne brute est-elle susceptible d’augmenter sur les vingt prochaines années ? Il faudrait pour cela que :
o Les dépenses d’exploitation baissent : rien ne permet de le prévoir ; les rames du tramway remplaçant des bus, une première réflexion peut amener à conclure que les dépenses et notamment le nombre de conducteurs, n’augmenteront pas ; mais nous pouvons en douter en lisant dans le dossier de la concertation que le réseau de bus sera réorganisé pour offrir une offre complémentaire.
o Les recettes augmentent : les recettes sont composées actuellement comme suit en prenant une année « normale », c’est-à-dire sans crise sanitaire :
Recettes voyageurs : 17 200 000 € soit 18,4%
Versement mobilité : 61 500 000 € soit 65,8%
Subventions d’exploitation 14 600 000 € soit 15,6%
Autres recettes 200 000 € soit 0,2%
TOTAL 93 500 000 € soit 100%
- Les recettes « Voyageurs » devraient augmenter avec une ligne 2 plus confortable et plus rapide que le bus mais le supplément de recettes ne peut représenter que quelques millions d’euros.
- Le versement mobilité est payé par les entreprises et collectivités employant plus de 11 salariés : quelque soit le développement économique de l’agglomération, la progression là encore ne peut être que marginale, d’autant plus que le taux sur Caen la mer est au maximum légal ; ainsi, il s’élevait à 53,25 millions en 2016 : la progression en 5 ans n’est que de 2,8% en moyenne annuelle, inflation incluse.
- Les subventions d’exploitation ne sont pas susceptibles d’augmenter hormis la subvention d’équilibre de Caen la mer : celle-ci est actuellement de 9 500 000 € (en diminution d’ailleurs par rapport aux années précédentes où elle était de 11 millions) ; Caen la mer peut-elle augmenter sa contribution ? Caen la mer pourrait techniquement augmenter sa contribution ce qui amènerait à réduire l’épargne nette du budget principal mais cette dernière, qui se montait à 21,6 millions d’euros au CA 2021, est déjà à peine suffisante pour autofinancer les 83 millions d’investissement annuel : toute réduction de cet autofinancement obligerait à augmenter l’emprunt pour financer le budget principal.
2) L’encours de la dette (c’est-à-dire le montant qui reste dû à chaque fin d’année) va-t-il baisser ?
o La dette du budget des transports s’élève à fin 2021 à 185,4 millions d’euros : les emprunts correspondants doivent être remboursés sur encore plus de 20 ans ; comme le montre le rapport sur le compte administratif 2021 des transports, le montant annuel du remboursement de cette dette va malheureusement rester stable entre 6 et 8 millions d’euros jusqu’en …. 2042.
o Le coût du tracé A de la ligne 2 est évalué à 291 millions d’€ en euros 2021 - page 41 du dossier de concertation. Celui-ci, qui ne consacre qu’une page au financement, précise que « le financement de ce projet sera assuré par le budget des transports et par des fonds propres qui en sont issus. Une subvention de 40 millions d’€ de l’Etat […] sera mobilisée pour cette opération. Le solde sera financé par emprunt ».
Les fonds propres évoqués ci-dessus sont en définitive le fonds de roulement de Caen la mer dont la CRC dit (page 1 de son rapport) que « les projets de développement de la communauté urbaine se heurtent […] à l’insuffisance du fonds de roulement et de la trésorerie » !
En définitive, le montant de l’emprunt sera donc, par rapport au coût du tracé A, de l’ordre de 250 millions d’€. Un tel emprunt remboursé sur 20 ans au taux de 2,5% génère une annuité de remboursement de 16 millions d’€ par an, hors de portée du budget des transports (pour un emprunt sur 30 ans, l’annuité est encore de 12 millions/an).
Le montant à rembourser sur les deux emprunts s’élèverait, en 2028 au moment de la mise en exploitation de la ligne 2, à 370 M€ : 120 millions d’€ au titre de la ligne 1 (cf. information issue du rapport du CA 2021) et 250 M€ au titre de la ligne 2.
Entre 2028, date de la mise en exploitation de la ligne 2 du tramway, et 2044, le remboursement de la dette de la ligne 2 (entre 12 et 16 millions d’€ par an selon la durée de l’emprunt) se cumulera avec le remboursement de la dette de la ligne 1 (6 à 8 millions). Au total, c’est chaque année entre 18 et 24 millions de remboursement pendant 16 ans. Où en sera notre capacité de désendettement ?
La ligne 2 du tramway est un projet à soutenir mais en concentrant les dépenses sur l’essentiel.
Semblent accessoire ou à différer :
- L’effacement des lignes aériennes de contact (20 millions d’euros d’investissement et 1,5 million par an en fonctionnement), que Nice est la seule collectivité à avoir réalisé aujourd’hui en France ; de plus, cette technologie est en cours de développement. Ne recommençons pas les errements qui ont marqué le TVR.
- Le tracé C se concentre sur l’essentiel, la desserte des quartiers denses en faisant l’économie de la boucle Guillou-Albert Sorel (40 millions d’euros).
- L’extension sur la Presqu’Ile (35 millions environ) peut être différée dans l’attente de son urbanisation et de l’évaluation de la montée des eaux.
Gérard Fourquet
Administrateur territorial
Ancien directeur général de Caen la mer